Nous allons débuter cette programmation de fin d’année avec un film dans lequel une jeune femme va déployer un immense courage pour affronter son harceleur.
L’affaire Nevenka d’Icíar Bollaín, film inspiré du drame vécu par l’Espagnole Nevenka Fernández, décrit une relation toxique, au vu et au su de tout le monde, à savoir le premier cas avéré et jugé de harcèlement dans le monde politique. La force de la réalisatrice est de décortiquer les rouages qui font que dénoncer un harcèlement est si difficile
Iciar Bollain montre une fois de plus son grand talent avec le « couple » formé par Miraia Oriol, fantastique, et Urko Olazabal, bluffant. Ce film est une nouvelle preuve de la nécessité d’un témoignage salvateur.
Dans un tout autre genre, nous avons mis au programma du CLAP Anora de Sean Baker, la Palme d’or hallucinée. Représentant sémillant du cinéma indépendant américain, Sean Baker, depuis Tangerine, s’intéresse aux classes populaires et aux travailleuses du sexe, traquant, dans des parcours chaotiques, l’énergie folle de protagonistes aussi fragiles que déterminés.
Sean Baker développe dans Anora une critique des règles d’Hollywood, le romantisme, l’amour qui fédère les classes et règle les problèmes, une sorte d’anti-Pretty Woman. Mais Sean Baker, c’est aussi une image de la classe éclatée, de la précarité. Il nous rappelle aussi ne pas trop nous bercer d’illusions, on s’aime à l’intérieur d’une classe sociale. Malgré cela, son film n’est pas une dissertation. Il conserve son versant politique structuré comme une comédie de divorce, de déliaison, à l’inverse du cinéma hollywoodien de mariage.
La force du film provient de ce qu’il évite tout moralisme ou position de surplomb dans le regard qu’il pose sur ses personnages. Au contraire, il part du cliché pour mieux en creuser la profondeur, révéler les êtres dans toute leur complexité.
Les deux films qui suivront s’attachent à des êtres d’une grande sensibilité déployant des trésors de courage et d’inventivité pour sauvegarder les relations humaines.
La vallée des fous de Xavier Beauvois. Le cinéma de Xavier Beauvois est parsemé de personnages pris dans un dilemme de vie qu’il soit moral ou existentiel, que ce soit avec Des hommes et des dieux en 2010 ou encore Albatros en 2020. Ses thématiques se fondent sur un décor souvent social et de fracture ou recomposition familiale, on pense aux Gardiennes en 2016. Et ce Jean-Paul pris à la gorge par ses soucis financiers et son alcoolisme ne déroge pas à la règle.
Interprété par un Jean-Paul Rouve qui donne tout, ce personnage de père plus que faillible mettant en place une idée saugrenue est avant tout touchant de réalisme, notamment en ce qui concerne l’addiction. On doit cette sensibilité à la caméra de Xavier Beauvois toujours à laisser son plan durer et utiliser judicieusement le silence comme un son de vérité entre ces personnages déchirés.
Crossing Istanbul de Levan Akin, deuxième long-métrage du réalisateur suédois aux origines géorgiennes, on se souvient du très beau Et puis nous danserons. Crossing Istanbul, nous offre une immersion surprenante dans le monde singulier de la communauté trans à Istanbul, vue du dehors avec cette prostitution généralisée et du dedans avec les déceptions amoureuses et le vécu émotionnel, en passant par les combats collectifs dans une société partagée entre tolérance, hypocrisie et condamnation. En prenant soin d’éviter les lieux communs et le pathos, en mêlant des trajectoires intimes à une histoire plus large. Une histoire de différences, de cultures, d’humanité.
Quatre beaux films et une rétrospective sont au programme de ces mois de novembre et décembre, une programmation marquée par des films puissants et plein d’humanité.
Tout d’abord, nous avons le grand plaisir de proposer une rétrospective des films de Nabil Ayouch et Maryam Touzani le dimanche 24 novembre après-midi. Trois films, Haut et Fort de Nabil Ayouch, Adam de Maryam Touzani et en avant-première Everybody loves Touda, le dernier film de Nabil Ayouch qu’il présente dans un vidéo enregistré, programmé avant le film.
L’histoire de Souleymane de Boris Lojkine a reçu dans la section Un certain Regard le Prix du jury et le Prix d’interprétation masculine pour Abou Sangare.
Dans une dramaturgie proche du thriller, Boris Lojkine dit le quotidien des réfugiés sans-papiers, l’interdiction de travailler qui précarise encore un peu plus, la jungle parisienne pour celui qui n’a aucun droit. Il dit aussi le courage et la ténacité qu’il faut pour sortir de l’ornière. Il y a du Ken Loach dans ce film social, cette manière de mettre en lumière ces citoyens invisibles et ultra-vulnérables.
Norah de Tawfik Alzaidi, premier film saoudien sélectionné à Cannes, un pays où, par ailleurs, les salles de cinéma ont rouvert en 2018 après trente-cinq années de fermeture. Ce mélodrame minimaliste de met en scène le tabou de la représentation, dans les années 1990.
Norah nous plonge dans une atmosphère de western où les hommes ne se battent pas entre eux, mais contre un ennemi immatériel, l’Occident et ses valeurs, avec ses femmes susceptibles de mener leur barque et non inféodées à la famille.
Trois Kilomètres jusqu’à la fin du monde d’Emmanuel Pârvu, cinéaste au réalisme aigu, puissant excavateur des petites et grandes saletés roumaines soigneusement poussées sous le tapis, signe ici un plaidoyer contre l’homophobie, encore très présente en Roumanie.
Soucieux de faire en sorte que chacun puisse se plonger dans cette histoire, le cinéaste a fait le choix de laisser la violence physique hors champ pour s’intéresser plus précisément à la psychologie de ses personnages, à la façon dont ce drame va influer sur chacun d’entre eux.
Sur un fil de Reda Kateb. Adapté du livre « Le rire médecin : journal du docteur Girafe » (Albin Michel) de Caroline Simonds, fondatrice de l’association Le rire médecin. Dans ce premier long-métrage en tant que réalisateur, Reda Kateb nous embarque à l’hôpital dans la chambre des enfants malades avec Zouzou, apprentie clown, incarnée avec sensibilité par Aloïse Sauvage.
Ces clowns, s’ils sont là pour distraire, travaillent main dans la main avec les personnels soignants, participant au suivi de la santé des jeunes patients, aux transmissions, à l’accompagnement des familles.
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Ne surtout pas manquer le très beau film Les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof qui nous plonge dans la société iranienne au moment des grandes manifestations Femme, Vie, Liberté. Ce film qui a obtenu le Prix Spécial du Jury à Cannes nous montre de façon très fine comment la pensée totalitaire percute l’intimité d’une famille, son fonctionnement et provoque un conflit générationnel en son sein.
Et ne pas manquer non plus Riverboom, de Claude Baechtold « le documentaire le plus dingue de l’année ».
En 2002, un an après les attentats du 11 septembre à New York, trois jeunes reporters décident de rejoindre l’Afghanistan. Égarés pendant près de 20 ans avant d’être miraculeusement retrouvés, les rushes de leur voyage composent Riverboom, un formidable documentaire narré et réalisé par Claude Baechtold. Grâce à un montage et un procédé débordant de vie et de vitalité, on rit beaucoup tout en prenant plein les yeux, ce qui au milieu d’une zone de guerre n’est pas un mince exploit. Riverboom est aussi un grand film réjouissant sur l’amitié et le pouvoir qu’elle engendre.
Plus de légèreté et de rires avec Silex and the City de Jean-Paul Guigue et Julien Berjeaut (Jul), récit philosophique et désopilant de l’âge de pierre qui parle en réalité de notre époque. Après un aller-retour tragicomique dans le futur, un père et sa fille ramènent accidentellement une « clef coudée » Ikea qui va enfin déclencher l’Évolution, pour le meilleur, et surtout pour le pire.
Jul, alias Julien Berjeaut, 50 ans, auteur de BD et dessinateur de presse, apparaît comme un phénomène à part entière. Dessinateur à 10 ans, élève de l’Ecole normale supérieure (ENS) de Fontenay-Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine, agrégé d’histoire, enseignant d’histoire chinoise à l’ENS, cet homme-là va visiblement très vite, et avec une grande soif de décloisonnement, dans sa tête.
Ajoutons un casting de voix démentiel, dans lequel François Hollande et Julie Gayet interprètent chacun une bactérie, Denis Ménochet le docteur Poulpot, Raphaël Quenard un physio facho et Frédéric Beigbeder un bonobo toxico. Autant dire que la fantaisie est aux commandes et qu’il n’y a qu’à se laisser conduire.
Avec grand plaisir, nous retrouvons François Ozon et son film Quand Vient l’automne qui nous emmène dans des histoires familières. Auprès d’une grand-mère qui veut passer du temps avec son petit-fils dans un conflit mère fille non résolu qui dure depuis des années, dans une amitié très forte entre 2 femmes âgées qui partagent un passé commun…Il ne ressort de ce film une belle humanité et une profonde mélancolie, appuyées par des décors champêtres sublimes et une prestation émouvante d’Hélène Vincent.
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La saison cinématographique a redémarré le 20 septembre. La coupure a été certainement trop longue. Nous nous engageons l’année prochaine à proposer une programmation Art et Essais tout au long de l’été.
Quatre films sont proposés pour cette rentrée :
Santosh de Sandhya Suri qui nous emmène en Inde auprès de Santosh qui à la mort de son mari va se retrouver immerger dans le monde de la police. A chaque instant, durant les deux heures que dure cette plongée dans le quotidien d’une femme flic qui tente de prendre son envol, l’actrice nous fait entrer dans son mental, nous transmettant ses sensations les plus furtives. Cette mise en scène nous accroche à ce thriller sombre et féministe.
Le roman de Jim des frères Larrieu, un mélo sec et poignant qui fait l’éloge des liens qui peuvent se nouer entre les êtres en dehors de la consanguinité et qui parle aussi de ce qui n’est pas souvent montré au cinéma, la fragilité, la gentillesse, la fiabilité des hommes.
Dans Septembre sans attendre, Jonas Trueba filme un couple entre séparation ou remariage, pour le meilleur et pour le rire. Tisser la vie, l’amour et les films, c’est ce que font ensemble, à l’écart de l’industrie du cinéma espagnol, le quadragénaire Jonas Trueba et sa compagne, Itsaso Arana. Il réalise, elle joue dans plusieurs de ses longs-métrages.
La Partition de Matthias Glasner nous emmène en Allemagne. Pendant trois heures, en quatre mouvements, cette Partition sèche et explosive va démêler les fils d’existences meurtries, en compagnie d’acteurs excellents. Son mouvement avance, de débordements chauds comme la lave à la froideur stupéfiante des sentiments.